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 VII 

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Sur le sable de la plage, l’ombre du vieux phare s’allonge face à la lumière du jour nouveau.

Au pied de la tour de pierre au fanal allumé, le vent du large se réveille
avec les vagues de la marée montante qui s’étalent
autour de la croix plantée là.

Le corps, portée en pénitence sur son axe, agonise dans la douleur et l’humiliation absolue.
L’œil vitreux de la tête ouvert et vide sur l’horizon brille encore
grâce au reflet du soleil naissant au loin.

Almokyo Bucãli, mi-homme démon, le ventre éventré, le cœur picoré et le visage tuméfié,
a la bouche béante et la langue manquante, dérobée par un ptérodactyle
qui, perdu peut-être, s’est régalé puis s’en est allé.

Une invraisemblable crucifixion matinale en bordure du cap montrée en spectacle.
Meurtre ou suicide truqué d’un crâne fou qui a trouvé refuge sur cet asile en berne.

Le soleil chauffe vite, attise terre et mer, sèche le cadavre suspendu dans les airs,
exhale l’odeur de ses entrailles grouillantes de vers, rôtie les chairs à vif suintantes,
cuit les viscères et les os dans leur substantifique graisse visqueuse tel un gros bouillon
où les poumons dégorgent, la lymphe mijote et le sang coagule du mourant qui rissole.
Tout le corps puni pestiféré empeste, tombe et se décompose en ruines putrides puantes.

Et à écouter d’un peu plus près, derrière le ressac et le grouillement vivant de la nature,
se distingue au niveau de la bouche comme un claquement nerveux,
qui se répercute sur les dents brisées.

Dernier râle respiratoire ou écho survivant d’une parole muette.

La croix reste plantée là. 1
 




k 2000


 NOTA BENE 

mise à jour 07 01 21

• 1   L'homme est un gracié qui s'est fait justice lui-même.

« Et j'ai voulu de nouveau me serrer contre le tombeau vide,
mettre ma main dans le trou de la croix […]
Il n'est pas de vivre, mais de mourir, et non pas de charpenter la croix
mais d'y monter, et de donner ce que nous avons en riant !
Là est la joie, là est la liberté, là la grâce, là la jeunesse éternelle ! »

P. CLAUDEL, L’Annonce faite à Marie, 1912.

Le monstre s'applique à faire une ouverture au creux de l'os qui joint le pied à la jambe.
Il entrouvre ainsi dans la chair deux cicatrices rouges et vives.
Puis toujours avec calme et lenteur, il entreprend d'y pénétrer ses deux mains,
chacune de part et d'autre du pied pour remonter ensuite le long du mollet,
glisser, rogner au-dessous de la peau.
La victime hurle à mort lorsque son bourreau de ses doigts ciselés lui déchire les entrailles.
A hauteur du genou un petit repli des mains est nécessaire, mais c'est pour mieux
contourner la rotule, passer au-dessus avant d'attaquer les cuisses.
Les mains écorcheuses sous la peau laissent passer des frissons d'horreur délicieuse,
qui granulent l'épiderme de plaisir, tandis que la tête de la victime se crispe,
les veines du cou grossissent telles des cordes de pendu sur un échafaud vivant,
certaines même se rompent, déchirées, à rougir l'intérieur du corps
du condamné à mort.
La victime, dans un dernier élan spasmodique, s'étouffe.
Les mains du monstre s'arrêtent à l'aine, gonflée de sang, puis se retirent.
L'écorché vif meurt enfin.


« Stat lux dum volvitur orbis. 
La croix demeure debout quand tourne le globe. »

« … mais qui prend sa croix et suit le Christ m'excusera encore de ne point l'exprimer,
quand il verra dans cette clarté le Christ briller comme l'éclair.»

A. DANTE, La Divine Comédie, « Le Paradis », chant quatorzième.

En suspens et en chair, le cadavre flotte, s'enfuit par-delà les murailles,
laissant derrière lui un sillage de sang parfumé.
Bien que le soleil se couche dans les nuages et la lune se lève sur la plaine,
le cadavre garde sa couleur pourpre et fraîche originelle.
Niché au creux de son cœur, un oiseau becquette sans relâche
le pourtour du ventre, pour s'attaquer par la suite au sexe encore chaud.
Qu'a t-il donc fait ce corps sans âme pour plonger là
dans une horreur fantastique ?
Accouplé au hasard de sa route avec sa diablesse, son animal blessé préféré,
son sommeil, sa fin.


« LE VICE-ROI : Et là devant cette croix où ma destinée était de te conduire,
devant cette croix où se termine notre chemin et où nous avons abouti,
ne veux-tu pas me faire une promesse ? […]
DONA PROUHEZE : Rodrigue, mon bien-aimé ! Prouhèze n’est qu’une croix,
la pauvre Prouhèze n’est qu’une croix, et la croix est la seule chose
qu’à jamais elle aura été capable de te donner.
LE VICE-ROI : Une croix, une croix seulement ?
DONA PROUHEZE : Une croix, une croix seulement ?
Mais n’est-ce rien que cette croix que nous partageons avec Dieu !
LE VICE-ROI : Ah ! c’est Prouhèze que je veux ! c’est ton corps et ton âme que je veux !
DONA PROUHEZE : Tu le veux ? eh bien, dis un seul mot et je reste !
LE VICE-ROI : Tu restes avec moi ?
DONA PROUHEZE : Un seul mot, un seul geste !
( Elle soulève sa main gauche avec sa main droite )
LE VICE-ROI : Je le vois, oui, je le vois reluire à ta main, ce détestable anneau !
DONA PROUHEZE : Prends-le ! retire-le-moi ! […]
DONA PROUHEZE : L’anneau de mon mariage avec Dieu ! […]
LE VICE-ROI, lui saisit la main, puis la retire : Je ne puis !
DONA PROUHEZE, reculant de plus en plus : Un seul mot, mon bien-aimé, et je reste !
Un seul mot et je reste !
Un seul mot, un seul mot, et je reste !
( Rodrigue avance le bras vers elle, puis lentement il tourne la tête, puis le corps
vers la croix, et lentement, allongeant l’autre bras, il complète cette croix
qu’il fait avec lui-même.) »

P. CLAUDEL, Le Soulier de satin, drame en 2 parties (version scénique), 1944,
2e partie, scène 9.

« Un chaman yakoute a donné des détails sur cette cérémonie - « le déplacement » -
à laquelle tout chaman, en principe, est tenu de se soumettre trois fois de suite.
Selon lui, les membres du candidat sont détachés avec un crochet de fer, les os nettoyés, les chairs raclées à fond, les liquides organiques expulsés, les viscères enlevés et les yeux extraits des orbites. Après quoi, les Esprits se livrent à l’opération inverse : ils reconstituent le squelette en maintenant les os avec des chevilles de fer et le « rhabillent » de chair fraîche après avoir mis en place de nouveaux organes substitués aux anciens. Il suffit, ensuite, de ressusciter l’apprenti chaman.»

M. MERCIER, Chamanisme et chamans, p. 65, Editions Dangles, 1987.
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